Lettre à Léto, pour que le deuil périnatal ne soit plus un tabou
Ma Léto,
5 ans déjà, le temps passe douloureusement vite. À peine nous prenons le temps de souffler que les semaines ont déjà filé.
5 ans sont passés depuis ton décès. 5 ans sont passés depuis la décision de tout stopper. Mais quelle décision. Une décision digne de Salomon. Mais nous ne sommes pas Salomon. Une décision que je porte encore trop douloureusement et que ton papa doit porter lui aussi.
Mais aujourd’hui je désire me débarrasser de cette honte qui m’habite, celle que l’on fait trop souvent porter aux mères, celle qui me bloque depuis tout ce temps.
Tu n’étais pas prévue dans l’équation de notre famille. Nous avions beaucoup galéré pour avoir ta sœur et ton frère, alors quand tu es arrivée sans que l’on s’y attende, sans procédures médicales, nous avons hésité un cours instant. Mais l’idée d’une plus grande fratrie était bien présente. Après tout nous étions encore assez jeunes, plein de projets et de petits bonheurs. Nous venions de déménager dans un plus grand appartement, nous travaillions tous les deux. Bref tout roulait tranquillement.
Au fond de moi, je me disais que si tu étais venue c’était pour nous faire un beau cadeau. Je sais je reste une grande naïve, je vis souvent de mon imagination, je vis dans ma bulle fantaisiste qui me fait du bien et qui doit sûrement m’aider à supporter le quotidien.
Bref je t’imaginais forte et conquérante, la petite dernière qui ne se laisserait pas faire, un peu à l’image de ta grande sœur. Nous t’avons donné le prénom d’une femme forte de la mythologie, car après Ulysse, on ne pouvait pas faire moins. Léto, mère d’Artémis et d’Apollon, maitresse de Zeus… Rien que ça. Nos idées de grandeurs se reflétaient dans ton prénom. Ton prénom qui finalement mettait aussi en avant la maternité, chère à mes yeux. Ma belle Léto tu aurais été une formidable femme forte…
À 5 mois de grossesse, j’ai subi une terrible douche froide. Après l’écho cardiaque, obligatoire dans mon cas avec la problématique de ta sœur, la médecin m’a expliqué ton diagnostic… je venais de plaisanter avec elle lorsqu’elle a voulu me parler d’une malformation cardiaque. « Voyons, nous connaissons ça Madame! Mon aînée a été opérée pour une tétralogie de Fallot. »
J’étais ailleurs. Je me vantais de tout connaître sur les cardiopathies congénitales. Quel orgueil, quelle prétention j’avais.
Et la médecin de me sourire doucement, presque douloureusement. Car elle savait déjà. Elle savait que ton cœur n’était pas complet, juste une moitié, la plus faible apparemment. Et les gros vaisseaux étaient mal placé, et ceci et cela… Je crois qu’à ce moment là tout s’est mis à bourdonner dans ma tête. Je n’entendais plus grand-chose.
« Vous pouvez appeler votre conjoint? »
J’ai appelé ton papa, mais comme je pleurais déjà et que c’était incompréhensible, il a raccroché et est arrivé peu de temps après. L’avantage de travailler juste à côté de l’hôpital…
Je me souviens que je l’ai attendu dans le couloir de la salle d’attente ton papa. Toutes ces futures mamans autour de moi, tous ces va et viens… Je ne voulais pas pleurer devant ces inconnu.e.s.
Lorsqu’il a appris la nouvelle, ce fut également une grande douleur. On nous donnait donc le choix. Arrêter la grossesse quant on voulait… ou te garder et voir ce qu’il se passera. 3 opérations, une greffe de cœur, des soins palliatifs étaient le programme annoncé. Des soins palliatifs c'est ce que l'on offre aux personnes qui vont mourir. On ne savait plus rien. Évidemment je suis allée sur internet. Évidemment mon cerveau me disais stoppe, arrête de te faire du mal. J’ai tout lu, vu. Mais aucun survivant ne semblait avoir tes problématiques. Je ne comprenais plus rien. Tu continuais de grandir, de bouger et moi j’étais dans un état second. Je refusais l’inévitable.
Je disais à ton père qu’il était hors de question de finir la grossesse, il acquiesçait sans mots… Puis quelques temps plus tard, je pleurais en pensant aux souffrances que tu vivrais probablement.
Nos pensées allaient et venaient ainsi durant 10 jours. Nous avions fait le choix de n’en parler à personne pour ne pas nous sentir influencer. La psychologue qui nous suivait approuvait ce choix. La décision devait venir de nous, uniquement de nous. Les seuls qui devraient de toute façon supporter les conséquences.
Nous avons vu des spécialistes, nous avons écouté. Nous nous sommes refermés sur nous même durant cette petite période. On était à la recherche d’adultes qui avaient eu ton cas… mais peu ou pas de possibilité d’en rencontrer. Il était évident que même si tu survivrais à toutes les épreuves, même si tu ne devenais pas handicapée après une opération, ta vie aurait été réduite. Tu ne porterais pas la vie, tu ne pourrais peut-être rien faire sans assistance. Bref, nous étions dans une impasse. Allions nous jouer ta vie, mais également celle de la famille en entier sur des suppositions que nous faisions?
Certains pourraient me répondre que la vie n’est jamais décidée d’avance. Que nous ne pouvons pas savoir ce que demain nous réserve. C’est vrai, mais nous manquions de courage je pense. Parfois je me disais que j’aurais pu porter cette volonté seule. Mais la plupart du temps je savais qu’il me fallait être entourée et soutenue. Et je savais que ce soutien aurait été fragile et aurait pu détruire plus que protéger.
Il y a donc 5 ans nous avons pris la décision de te dire au revoir. À 27 semaines, tu es partie. Le médecin m’a dit que ton cœur était devenu très faible, tu n’aurais peut-être pas survécu aux contractions d'un accouchement classique.
Mon accouchement fut incroyablement doux. L’anesthésiste ayant peut-être détecté un souci chez moi a souhaité savoir si je voulais vraiment la péridurale. Je n’en voulais pas. Je l’avais fait pour ton grand-frère, je pourrais le refaire avec toi. C’est donc avec des anti-douleurs que je t’ai accouché avec une infirmière merveilleuse, mais que je trouvais si jeune pour accueillir un nouveau-né décédé.
Tu étais si belle, mais j’avoue avoir eu un choc car tu
ressemblais furieusement à ta grande sœur. Mêmes cheveux, nez, joues… J’étais
perdue, je ne voulais plus te quitter. Nous t’avons gardé une journée près de nous… puis il
a fallu te quitter à nouveau.
La suite est une longue succession de désespoir, de petites victoires et de grandes peurs. Mais aussi de colère pour ton père qui n’a pas eu décemment de temps pour faire son deuil, de colère par les maladresses des uns et des autres.
De tristesse car plus personne ne parlait de toi, sauf ton père et moi.
2 ans de thérapie ont pu apaiser cela mais ton absence est toujours là. Entre nous, nous parlons de toi parfois.
Entre nous on se demandait si nous allions retenter l’aventure… mais le temps file comme je te l’ai dit et même si mon envie d’enfant est encore là, la vie m’a rattrapé.
Ton frère fêtera ses 7 ans bientôt et il exprime souvent son regret de ne pas être grand-frère. Ta sœur est plus discrète. L’annonce fut terrible pour elle, elle qui voulait tellement une petite sœur. Tu es donc encore bien présente chez nous.
Cette terrible absence présente.
Tu m’excuseras mais nous n’avons pas encore pu nous résoudre à mettre tes cendres ailleurs qu’à la maison. Pour le moment, aucun autre lieu nous a semblé idéal pour que nous puissions t’offrir un dernier au-revoir.
J’aimerais malgré tout finir cette lettre en te disant que malgré tout, nous allons plutôt bien. Nous vivons, nous faisons des projets, la vie avance. Cette épreuve nous aura un peu plus soudé, rien n’est parfait mais on y arrive.
La pire décision de notre vie ne nous aura pas enterré. Elle nous a changé, nos priorités sont différentes, mais nous sommes encore là et nous te chérirons toute notre vie.
Le 15 octobre est la journée pour commémorer le deuil périnatal. À tous les parents qui se battent pour reconnaitre ce statut, à toutes les familles endeuillées, je nous souhaite de trouver la paix et la reconnaissance.
Un article pour aider de l’hôpital Sainte Justine qui nous a soutenu lors de cette épreuve.
Commentaires
Je vous embrasse.